La rubrique de D’doc #12

Voir sa vie en manga. Imaginer des scènes en format bande-dessinée pour occulter la vie réelle, l’adoucir. Quand on est une adolescente japonaise, c’est un peu le quotidien, d’autant plus quand sa vraie vie est bien chaotique, entre des parents à côté de la plaque et des camarades de classe loin d’en être, menés par une harceleuse qui n’en dit pas le nom, trop tabou. D’ailleurs serait-ce bien du harcèlement, ou de simples brimades comme le minimise l’héroïne du roman ? Accepter signifie faire montre de sa faiblesse. Au Japon en tout cas, dont la civilisation millénaire refuse toute forme de non maîtrise de soi. Pas un crayon plus haut que l’autre. En classe, au lycée, dans la ville, en famille.

Dans Chère Fubuki Katana, paru en 2019 chez Casterman, Annelise Heurtier propose une plongée au pays des printemps magnifiques sous les cerisiers en fleurs. Pour les adolescents tout autant à l’aube de leur vie, le propos est tout autre, plus âpre, plus enclin à l’ijime qu’à la contemplation des tons rosés. L’ijime, c’est le harcèlement, qui, comme le rappelle l’autrice, est très courant dans le milieu scolaire et professionnel, notamment au Japon, pays où le groupe prime sur l’individu. Pour Emi, il est très difficile de faire face. Fille unique, elle se confie aux caresses et miaulements d’un matou dans un bar à chats. Jusqu’à ce qu’une rencontre la sorte de sa torpeur, réveille en elle de nouveaux sentiments, l’amène à questionner son environnement, familial, lycéen, amical.
A force de converser avec Hana, qui ressemble à l’un de ses personnages de mangas préférés, Emi développe une nouvelle facette de sa personnalité. Ou bien sort elle tout simplement du monde de l’enfance ? Avec des rêves qui se dissipent dans un même mouvement qu’une meilleure compréhension de soi, de son environnement immédiat. Un nouveau regard porté sur ses parents en premier lieu. Des événements qui forcent l’empowerment de la jeune fille et la poussent dans ses retranchements quand ils conduisent à une immense déception. Mais ne faut-il pas en passer par là pour dépasser toutes les autres épreuves ? Une lecture captivante, à partir des années collège.

Delphine